Double détente

EffusionEffusion - Acrylique sur papier spécial - 30 x 21 - 2015

Etrange discussion que celle que j'ai eue voici quelques jours avec un artiste qui œuvre dans un domaine différent de la peinture.

Ce soir-là, j'exposais dans le lieu de notre rencontre une vingtaine de geste colorés. J'avais également apporté quelques gouaches et aquarelles, me disant qu'elles pourraient peut-être intéresser les personnes de l'assemblée qui ne seraient pas sensibles à la peinture abstraite.

Voyant la variété de ma production, mon interlocuteur a d'abord signifié son intérêt pour certaines toiles abstraites. Après avoir vu mes aquarelles sur Paris, il m'a fait part de sa satisfaction de constater que je savais dessiner. Pour lui, si un peintre ne sait pas dessiner correctement, sa production abstraite ne mérite pas d'être considérée de la même façon que s'il "sait", s'il a prouvé qu'il est "capable". Une double détente, en quelque sorte, le second coup ne pouvant partir que si le premier a été tiré.

A la fierté que j'avais d'être considéré par cet artiste, venait se mêler une certaine confusion. Je pensais alors : "bienheureux celui qui peint des œuvres abstraites sans être passé par la case apprentissage". Cela signifie qu'il dispose d'une sensibilité immédiatement accessible, parce qu'elle n'a pas été déformée, enfouie comme la mienne a pu l'être sous des dictats culturels et sociaux concernant l'art et les artistes. Il m'a fallu beaucoup de temps pour la comprendre et pour y croire.

Je comprends aussi que celui qui est fier d'une production et d'une reconnaissance obtenues à force de travail recherche chez celui qui revendique, explicitement ou non, faire partie de son monde, la preuve que la poursuite de l'excellence est inscrite dans son parcours.

J'ai pris conscience, ce soir-là, que, pour moi, la technique doit être absente de ma posture créatrice. Si j'y pense, je ne serai pas dans la vérité. Cela remet encore un peu plus en cause l'idée que j'avais du travail du peintre. Chacun a la sienne, fruit de son histoire. En ce qui me concerne, lorsque je peins, je ne cherche plus à "faire"... juste à "être".

Artiste et travail Geste coloré

Commentaires

  • Nine
    • 1. Nine Le 02/05/2015
    Je souscrit pleinement à ta posture d'artiste : non pas faire, mais être.
    Il ne faut pas penser technique, et c'est la même chose en poésie. Cependant, il y a une ou des techniques que tu as intégrées, voire que tu as inventées, et là encore il y a création, et je pense que celles-ci viennent en renfort dans ta création.
    C'est du moins ce que je ressens dans l'écriture.

    Bises
  • morgane
    Bonjour Denier,
    Tu soulèves une question vraiment importante à mon avis. Malheureusement on ne peut pas exclure du regard du spectateur les a-priori qui créent un filtre à son jugement. Penser que quelqu'un qui ne sait pas dessiner est un mauvais artiste est un a-priori qui a l'allure d'une pensée ancienne liée à l'histoire des arts, car auparavant et il n'y a pas si longtemps, ne pouvait être artiste qu'une personne qui avait étudié l'art en commençant forcément par certaines techniques dites "classiques" et sa reconnaissance comme artiste en dépendait. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, mais les vieilles pensées ont la vie dure. Je pense qu'il reste extrêmement difficile de créer quelque chose qui touche le spectateur directement et qu'on puisse transmettre au delà de la parole, de la forme ou de la couleur.

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