Jeudi 15 juin, 21h.
L’expo est décrochée après 4 jours denses.
- Alors, ça a marché ?
Derrière cette question, j’entends souvent « Tu as vendu ? ». Pour l’artiste, « Vendre » n’est pas un gros mot mais il entretient avec lui des rapports pas toujours simples.
D’abord à cause du prix. C’est cher un tableau. Dépenser parfois plusieurs centaines d’euros pour quelques gouttes de peintures réparties sur un morceau de toile avec un outil poilu ou métallique peut-il valoir si cher ? D’autant que l’art ne sert à rien dans notre société matérialiste. Il n’a pas de fonction dans la survie physique, comme peuvent l’avoir une maison, de la nourriture, une voiture, un parapluie ou des chaussures.
Oui mais voilà : l’artiste vient de loin et l’art plus encore. Faire un tableau aura demandé une longue maturation, en tous cas en ce qui me concerne. Il en aura fallu des détours pour permettre aux gestes colorés d’éclore, d’être livrés au monde. Il en aura fallu des rencontres pour donner confiance, enseigner, stimuler, encourager. Il en aura fallu de l’audace pour oser (et) entreprendre. Il en aura fallu de la persévérance pour, inlassablement, apprendre, tenir la tête hors de l’eau, prêcher dans le désert, apprivoiser sa solitude, faire du doute un atout. Et il en faut de la détermination pour accepter de se mettre à nu, d’ôter une à une les carapaces dont on (je !) s’est couvert sans s’en rendre compte pendant des dizaines d’années afin de supporter la violence du monde, la douleur et parfois la souffrance qu’elle engendre.
Et nous voilà, attendant le chaland, souriant, montrant qu’on est heureux d’accueillir le visiteur connu (Clément ! quel plaisir de te voir !) ou inconnu (Bonjour Madame, connaissez-vous la galerie ?). Doit-on l’accompagner pendant sa visite, le laisser découvrir par lui-même l’espace et les œuvres, descendre avec lui au sous-sol lorsqu’il s’y rend, laisser le silence exister au risque de paraître indifférent ou, au contraire, entamer la conversation au risque de gêner le visiteur dans sa découverte ?
Un spectateur m’a dit que ma fiche artiste, présentant en quelques mots qui je suis, n’avait pas sa place placardée à côté d’un des tableaux (« le visiteur s’en fout, c’est l’œuvre qu’il vient voir ! »). Le lendemain, un autre m’a dit que la même fiche l’avait éclairé dans son accès à l’œuvre.
Un collectionneur m’a dit son manque d’intérêt pour cette exposition (« vous n’apportez rien à l’histoire de l’art ! »), quand un amateur d’art m’a confié sa satisfaction d’être venu sur les conseils d’une connaissance (« je ne regrette pas d’être venu ! Ce que vous faites est puissant. Poursuivez ! »).
Une exposition est un lieu atypique où sont présentés des objets inutiles que certains ne trouveront pas chers et d’autres hors de prix, qui peut se transformer d’un moment à l’autre en lieu de rencontre, endroit où l’on peut boire un verre, cabinet de psy, salon de philosophie, réunion familiale, espace de solitude et d’autres encore. Finalement, une expo est un formidable lieu d’observation de notre société pour l’artiste, où l’on peut voir ou entendre tout et son contraire sans que rien ne soit ni juste, ni faux.
A-t-elle « marché » ? Si l’artiste répond « non », c’est qu’il en attendait quelque chose qui ne s’est pas produit : des visiteurs, des ventes, des articles dans la presse… S’il est bien dans son rôle d’artiste, dans sa peau d’artiste, la réponse ne peut être que « oui » : qu’il ait eu des ventes ou non, des visiteurs ou non, des retombées ou non, il en retire de la matière pour enrichir son expérience. À elle ou lui d’en faire ou non quelque chose pour transformer cette expérience en enseignement au service de la création.
« Fulgurances » a-t-elle marché ? YES !